Navigabilité du fleuve et référentiel Sénégal 2050 : entre l’exploitation du gaz et la stabilisation de la brèche de Saint-Louis.

Planer avec les pélicans au-dessus de la ville permet d’apercevoir cette fine bande de sable filiforme. Elle est pourtant si fragile. Elle protège la ville de Saint-Louis depuis des siècles des assauts répétés de la mer. La langue de Barbarie est le bouclier qui protège la ville et son île. Cette île se trouve dans…

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Image surfaite de la langue de Barbarie

Planer avec les pélicans au-dessus de la ville permet d’apercevoir cette fine bande de sable filiforme. Elle est pourtant si fragile. Elle protège la ville de Saint-Louis depuis des siècles des assauts répétés de la mer. La langue de Barbarie est le bouclier qui protège la ville et son île. Cette île se trouve dans le delta du fleuve Sénégal. La langue de Barbarie héberge l’embouchure. Elle doit son existence aux puissantes vagues. Ces mêmes vagues ont été à l’origine de sa création. Cependant, elles risquent aujourd’hui de causer sa disparition.

Le fonctionnement des flèches sableuses est un phénomène très complexe et délicat. En effet, ces flèches apparaissent lorsque le sable chemine ou débouche brusquement dans le vide à l’aval. C’est le cas au Nord de Saint Louis sur le haut delta du fleuve Sénégal.

Il ne faut donc pas grand-chose pour que les flèches cessent de recevoir les quantités de sables nécessaires à leur complet entretien. Leur faible largeur les rend par ailleurs extrêmement sensibles aux risques de coupure par les tempêtes, la marée ou les crues.

Le processus dominant à Saint Louis dans le transport sédimentaire est celui induit par les vagues. L’obliquité des houles dominantes crée un courant de dérive littorale. Cela favorise un très fort débit sédimentaire de l’ordre d’un million de mètres cubes par an. Ce débit vient alimenter et engraisser d’année en année la flèche sableuse. Cette grande pompe à sables est considérée par d’aucuns comme une rivière de sable. Elle est à la base de cette énigme. Cette énigme est la langue de Barbarie, dont l’avion de commandement présidentiel du Sénégal porte le nom. Les vagues ont donné à la Langue de Barbarie la forme qu’elle a aujourd’hui.

La brèche

Malheureusement, une ouverture a été créée sur cette langue en 2003. Cela a été fait à la suite d’une décision présidentielle. L’objectif était de protéger la ville de Saint Louis d’une inondation par débordement du fleuve. Cette brèche a alors favorisé la création d’une nouvelle embouchure artificielle. Elle s’est élargie à plus de 6 kilomètres aujourd’hui. Elle dérive vers le Sud et cause la fermeture de l’embouchure naturelle du fleuve.

Les études montrent que le fort transit littoral offre des conditions favorables. Cela permet la restauration naturelle de la flèche sableuse d’ici 50 ans. Ce fonctionnement est cyclique. Parfois, la flèche sableuse se défait. Puis, elle se restaure au fil des années, en fonction des états de mer et de l’hydraulicité du fleuve.

Cependant, la migration de l’embouchure vers le sud augmente le risque d’inondation de la ville de Saint-Louis. De plus, au niveau de ce qu’on appelle la brèche actuelle, les courants et les vagues sont très puissants. La traversée par les pêcheurs est devenue de plus en plus dangereuse. Elle est également compliquée. Ainsi, depuis 2003, il y a eu au moins 400 morts parmi les pêcheurs. Des villages comme Doun Baba Dieye ont disparu. Par ailleurs, la création subite de cette brèche a causé la salinisation des terres du Gandiolais. Ces terres étaient longtemps réputées pour leur fertilité.

En plus de ce phénomène, les côtes saint-louisiennes s’érodent de manière inexorable. Les modèles prévoient un recul de plus 50 mètres dans les 30 prochaines années. Cette situation augmentera l’exposition des bâtiments sur le front de mer. Cela entraînera leur destruction. Par ailleurs, ce phénomène risque de s’amplifier avec l’élévation du niveau des océans due au réchauffement climatique. Fort heureusement, la ville de Saint Louis ne risque pas de disparaître. Cependant, la vieille ville, telle que nous la connaissons actuellement, risque de subir de réelles perturbations écologiques. Ces perturbations menaceront son existence.

Projets et aménagements structurants

Le projet de création du Port fluvio-maritime de Saint Louis est aujourd’hui une des solutions prometteuses. Il vise à sécuriser l’accès à la mer des pêcheurs. La préoccupation majeure des pêcheurs aujourd’hui est de pouvoir accéder à la mer en toute sécurité. L’accès à la mer est également un intangible de sécurité et de souveraineté, incontournable pour la défense des côtes.

A noter que ce projet phare et structurant de l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS) a des études techniques et financières déjà finalisées. Il est adossé à un chantier naval à Rosso-Mauritanie. Ce projet permettra également le développement des grandes villes traversées par le fleuve Sénégal. Ces villes ont souffert de la disparition du transport fluvial depuis la fin des années 1970. Il s’agit sans doute de la principale raison pour laquelle les pères fondateurs de l’organisation ont défini la navigabilité du fleuve Sénégal comme l’une des priorités de l’organisation.

Ce projet, dont le TRI (taux de rentabilité interne) avoisine 20%, comprend la création d’ouvrages d’accessibilité sur la Langue de Barbarie permettant de canaliser un chenal d’accès à Saint louis quel que soit le niveau d’agitation de la mer.

60 % du coût du projet Navigation de l’OMVS sera investi à Saint Louis. Cet investissement servira à la création de ces ouvrages et d’un complexe portuaire fluviomaritime. Ce complexe aura une envergure régionale. Il comprendra un port de commerce. Il comprendra aussi un port de plaisance et un port de pêche pour le débarquement des gros navires de pêche.

Le port de commerce de Saint-Louis permettra à la ville de rayonner dans la sous-région. Cela se fera par le transport par cabotage le long du fleuve Sénégal jusqu’au Mali. Ce transport partira des autres ports de l’Atlantique tels que Dakar et Nouakchott. Le transport fluvial, étant trois à cinq fois moins coûteux que les autres modes, va capter le transport des produits agricoles. Il va aussi capter celui des produits industriels issus du bassin du fleuve.

Les ports de pêche et de plaisance permettront essentiellement un développement local. La ville de Saint-Louis sera la principale bénéficiaire de ce développement.

Le projet Navigation comprend aussi la création d’un port minéralier au large de Saint Louis. Il inclut également des quais dédiés au vrac solide le long du fleuve Sénégal. Des études ont montré que le volet minéralier seul permet d’assurer la rentabilité du projet.

Ce projet permettrait de rendre opérationnel une capitainerie. Il créerait un service de pilotage pour améliorer la sécurité de la navigation dans l’embouchure du fleuve. Ce qui serait fort bénéfique pour les pêcheurs de Guet Ndar et réduirait le nombre d’accidents dans l’embouchure.

Il est aussi plus qu’important de noter que les projets structurants autour du delta ont un point de convergence commun: permettre avant tout le développement de la ville de Saint Louis et de ses environs.

Apports de développement tout azimut pour Saint-Louis

Le PROGEP et le SERRP portés par l’Agence de Développement Municipale (ADM) ont étudié finement à partir de modélisations numériques les meilleures stratégies d’aménagement. Leur but est la protection durable de la ville de Saint Louis contre la submersion marine. Ils visent également à mitiger l’ensemble des enjeux liés à la création de la brèche et à l’érosion côtière.

Parmi les solutions à court-terme proposées pour la traversée de l’embouchure par les pêcheurs, il y a l’idée de mettre en place un chenal balisé sur la brèche. Cela permettrait d’attendre que la situation revienne à la normale. Selon les modèles, l’embouchure naturelle devrait se recréer d’elle-même, à Potou, vers 2070. Cette solution basée sur la nature fait migrer la flèche sableuse vers le sud. Elle assure aussi le dragage régulier et le balisage de l’embouchure.

La deuxième solution proposée par les études de l’ADM valide la possibilité de créer un port à Saint Louis. Cela garantirait l’accès à la mer. Cela offrirait également les possibilités d’un plan de développement portuaire ambitieux dans les années à venir.

Le projet Tortue offre à la ville de Saint Louis une opportunité unique. Grâce à son port, ses infrastructures et son parc immobilier, la ville peut capter les navires de servitude et d’exploitation. Cela concerne la production gazière au large. Il peut aussi accueillir l’ensemble des acteurs de cette industrie. L’OMVS a l’intention de construire un quai lourd à Saint Louis. Ce quai sera dédié aux activités Offshore liées à l’exploitation du gaz du projet Tortue Ahmeyin.

Le tourisme, dont les potentialités sont d’évidence très sous exploitées, se verra propulsé par le truchement du port de plaisance. Les bateaux pourront accéder à la mer de façon plus fréquente. Ils le feront dans des conditions de sécurité optimale. Le tourisme fluvial pourra aussi se développer avec la navigation sur le fleuve Sénégal.

Il est alors pertinent de concilier tous ces projets autour d’un même objectif. Cela permettra à la ville de Saint Louis d’en tirer profit de façon durable. L’économie de Saint Louis connaîtra certainement un développement fulgurant, son tourisme et son industrie se verront propulsés au premier rang. L’autoroute Dakar Saint-Louis viendra en soutien de ces projets structurants en vue d’accélérer le développement économique de la région de Saint-Louis.

A l’échelle du pays, un saut quantitatif de l’ordre de 3 % du PIB des pays est attendu. Cela pourrait se produire dès les premières années de la mise en œuvre du seul projet de Navigation du fleuve. Le fluvial a été retenu comme un corridor de transport dans le cadre de la vision Sénégal 2025 porté par le gouvernement actuel. Il est donc légitime de se poser ces questions :

À quelques semaines de l’ouverture des premières vannes pour la production du gaz, n’est-il pas urgent de lancer ce projet portuaire qui permettra à la ville de Saint Louis de jouer un rôle de leader qui lui revient dans le développement et la renaissance des pôles Nord et Nord-est du Sénégal ?

Pour assurer la sécurité maritime des installations gazières et de la production n’est-il pas temps de réfléchir sérieusement à la création du port fluvio-maritime de Saint Louis ?

Souleymane FALL

Ingénieur Polytechnicien

Expert en génie côtier

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